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26.03.2012

Biens professionnels exonérés d’ISF : quelle prescription fiscale?

Un arrêt de la Cour de Cassation du 17 janvier 2012 revient sur la difficile application du droit de reprise triennale en cas de remise en cause du caractère professionnel des biens déclarés.

Compte tenu de la réforme de la fiscalité du patrimoine intervenue en 2011, seuls les contribuables dont le  patrimoine net taxable est supérieur ou égal à 1,3 million d’euros au 1er janvier 2012 sont concernés par cet impôt.

Pour un chef d’entreprise, les titres détenus dans une société soumise à l’impôt sur les sociétés dans laquelle il exerce des fonctions de direction entrent dans la base taxable à l’ISF mais sont exonérés sous réserve que le foyer fiscal détienne 25% des droits de vote et que la rémunération en qualité de dirigeant représente au moins 50% des revenus professionnels.

L’arrêt du 17 janvier 2012

En l’espèce, un chef d’entreprise avait porté sur sa déclaration ISF au titre des biens professionnels exonérés, les titres qu’ils détenaient dans une SA et une SCI et avait indiqué la mention « retraité + PDG » pour justifier de l’exonération d’ISF au titres des biens professionnels.

Ensuite du décès de son père, l’héritière reçoit une proposition de rectifications concernant les déclarations souscrites par son père au titre de l’ISF. Il ressort de cette proposition de rectification que l’Administration fiscale remet en cause le caractère professionnel des parts de SCI et des actions de SA et les réintègre donc dans la base imposable à l’ISF.

Un bras de fer s’engage alors et la Cour d’Appel d’Angers dans un arrêt du 5 octobre 2010 considère que le droit de reprise de l’administration fiscale est prescrit, faute d’avoir été exercé dans les trois ans.

La Cour de cassation saisie décide finalement que « la seule mention retraité + président-directeur général portée sur la déclaration d’ISF ne suffisait pas à établir que la condition de rémunération des fonctions de direction n’était pas remplie ».

En cela la Haute Juridiction suit l’argumentaire de l’administration fiscale qui soutenait qu’elle ne pouvait déduire des déclarations d’ISF du contribuable que la condition de rémunération de la fonction dirigeante était remplie et qu’il lui fallait procéder à des recherches ultérieures.

Les règles de prescription

En matière d’impôt de solidarité sur la fortune l’article L180 du Livre des Procédures Fiscales prévoit que, le délai offert à l’Administration fiscale pour exercer son droit de reprise est de trois ans (on parle de « prescription abrégée ») « lorsque l’exigibilité des droits omis a été suffisamment révélée par l’enregistrement d’un acte ou d’une déclaration ou par l’exécution de la formalité fusionnée sans qu’il soit nécessaire de recourir à des recherches ultérieures ».

Deux conditions doivent donc être réunies pour que la prescription abrégée de trois ans s’applique en matière d’ISF :

  1. Une déclaration ou un acte soumis à formalité de l’enregistrement.
  2. L’acte ou la déclaration doit établir d’une manière complète l’exigibilité certaine des droits omis sans qu’il ne soit besoin de recherches ultérieures.

En effet, il résulte de la doctrine administrative que si un doute subsiste quant à l’exigibilité des droits et s’il est nécessaire, pour en apporter la preuve, de procéder à des recherches quelconques, notamment par rapprochement de divers actes ou déclarations et examen de circonstances extrinsèques, le délai de prescription abrégée ne s’applique pas

Lorsque les conditions cumulatives de la prescription abrégées ne sont pas remplie ou en matière d’omission de déclaration de biens, c’est le délai de prescription de six ans qui s’appliquera conformément aux dispositions de l’article L186 du Code des Procédures Fiscales.

Les précisions de l’arrêt… peu favorables au contribuable

Si la solution de l’arrêt peut sembler classique au niveau de chambre commerciale, il convient de rappeler que la position contraire de la Cour d’Appel d’Angers était particulièrement favorable au contribuable et qu’elle était loin de constituer une décision isolée. Ainsi la Cour d’appel de Versailles avait également en son temps adopté une position très favorable au contribuable en matière de contrôle de la qualification des biens professionnels. Cette Cour avait en effet estimé que lorsqu’un contribuable a précisé dans sa déclaration d’ISF la dénomination et le siège de la société qu’il considère comme un bien professionnel, l’administration dispose de tous les renseignements nécessaires, sans être contrainte à d’autres recherches.

La Chambre commerciale avait déjà cassé cette décision en considérant au contraire que la prescription longue était applicable s’agissant du contrôle de la qualification de biens professionnels déclarés, l’administration ayant été conduite à procéder à des recherches ultérieures pour prouver l’exigibilité des droits éventuellement omis (cass. com. 20 février 2007, n°05-17953).

Un pas de plus est franchi aujourd’hui par la chambre commerciale avec la précision apportée dans le cadre de l’arrêt du 17 janvier 2012.

En effet la cour de cassation précise qu’il n’est pas besoin de démontrer l’existence de recherches effectives et que c’est le simple fait qu’il soit besoin de procéder à des recherches ultérieures qui permet de rendre applicable la prescription longue de 6 ans (10 ans auparavant) en matière d’ISF.

Dès lors l’on voir mal comment la prescription abrégée pourra être appliquée au contribuable lorsque l’administration fiscale remettra en cause le caractère professionnel des biens déclarés…. puisque les déclarations souscrites par le contribuable ne peuvent contenir de manière exhaustive tous les éléments permettant de déterminer le caractère professionnel des biens déclarés !

Cet article est une reprise de notre article paru dans le Journal du Palais du 26 mars 2012

Béatrice LERAT

Avocat

LERAT AVOCAT – Partenaire en Droit des Affaires et Fiscalité

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