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02.01.2014

L’harmonisation communautaire de l’impôt sur les sociétés : entre doute et réalité ?

La présentation classique de la territorialité de l’impôt sur les sociétés français pourrait être bouleversée si le projet communautaire d’ACCIS (assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés) était adopté.

Reprise de notre article paru dans ECODOCS 21 du 19 au 25 décembre 2013.

Le régime français actuel est en effet marqué par un principe fort de territorialité de l’impôt sur les sociétés :

Concrètement, aujourd’hui une entreprise française peut ne pas être soumise à l’impôt sur les sociétés ! Une société de droit étranger peut à l’inverse être redevable de l’impôt français parce qu’elle exploite en France une entreprise.

Ce principe place la France dans une position à part au sein des pays développés. En effet, presque tous les pays appliquent un système mondial prenant en compte la totalité des profits et des pertes réalisés par une même entreprise, quel que soit le lieu de son exploitation y compris, par conséquent, dans des succursales installées à l’étranger.

Le principe de l’imposition en France des entreprises exploitées en France est posé par l’article 209-I du Code général des impôts. C’est le juge administratif qui a ensuite défini la notion d’entreprise exploitée en France. Il s’agit, selon la jurisprudence, d’un établissement autonome disposant d’une certaine permanence tel que par exemple un siège, une usine ou un atelier de fabrication, une mine ou un lieu d’extraction de ressources naturelles. L’on est donc proche de la notion d’établissement stable utilisé dans les conventions fiscales.

En l’absence d’établissement, l’exercice habituel d’une activité peut être caractérisé par l’existence d’un représentant (véritable préposé de l’entreprise) ou peut résulter d’un cycle commercial complet d’opérations alors même que l’entreprise n’aurait ni établissement ni représentant.

En application des règles susvisées, les sociétés qui ont en France leur siège ou qui exercent en France l’essentiel de leur activité et qui effectuent des opérations à l’étranger ne sont pas soumises à l’impôt sur les sociétés français à raison des profits que leur procurent leurs opérations à l’étranger – sous réserve que lesdites opérations puissent être considérées comme caractéristiques d’une activité habituelle exercée à l’étranger.

Le fait de savoir si les opérations effectuées à l’étranger sont détachables de l’activité exercée en France ou si elles constituent ou non un cycle commercial complet à l’étranger est donc primordial au niveau fiscal. Il s’agit bien évidemment d’une question de fait et chaque situation doit être examinée à l’aune de la jurisprudence.

Sauf que l’adoption du projet communautaire d’ACCIS (Assiette commune consolidée de l’impôt sur les sociétés) pourrait remettre totalement en cause cette présentation de la territorialité de l’impôt sur les sociétés français.

L’ACCIS est en effet une proposition de directive visant à créer une assiette commune consolidée pour réduire l’impôt sur les sociétés. Ce projet ambitieux présenté en mars 2011 par la Commission Européenne aurait pour but de mettre en place au niveau des Etats membres un ensemble unique de règles de détermination du résultat imposable. Ce système serait susceptible d’être utilisé, sur option, par les sociétés exerçant leur activité au sein de l’Union européenne et établies dans plusieurs Etats de l’Union. Les pertes réalisées dans un Etat européen se compenseraient alors avec les profits obtenus dans un autre Etat européen au niveau de ce résultat d’ensemble européen qui servirait de base de calcul de l’impôt…à régler dans chaque Etat d’implantation … au taux local de l’impôt sur les sociétés.

Ne nous y trompons pas, toutefois : s’il s’agit de faciliter la vie des sociétés européennes (à voir si tel sera le cas en pratique !), il s’agit sans doute également – comme souvent en matière fiscale – de trouver le moyen d’imposer davantage ces mêmes sociétés.

Si ce projet  d’ACCIS – dont l’adoption était prévue pour 2013- devenait réalité il y aurait dans chaque Etat, dont la France, deux modalités de détermination du résultat imposable : pour les sociétés ayant uniquement une activité en France, les règles fixées dans le Code général des impôts continueraient à s’appliquer. En revanche, pour les sociétés ayant une activité dans plusieurs Etats membres, le régime communautaire évoqué ci-dessus s’appliquerait avec une imposition dans chaque Etat d’implantation au taux local de l‘impôt sur les sociétés.

Au delà du fait qu’il s’agit d’un véritable séisme touchant les principes fondateurs de la fiscalité internationale, il y a lieu de s’interroger sur les conséquences qui pourraient découler de ce projet pour chaque société redevable de l’impôt sur les sociétés si ce projet devenait un jour réalité.

Béatrice LERAT

Avocat à la Cour

lerat-avocat.com

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