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07.11.2011

Opérations de LBO: les avancées de la décision du Conseil d’Etat du 13 juillet 2011

La décision du 13 juillet 2011 (CE, 13 juillet 2011, n°312285) modifie la notion de contrôle et la date d’appréciation du contrôle pour l’application du dispositif de l’amendement Charasse au régime d’intégration fiscale.

LBO

Les opérations de Leverage Buy Out (LBO en abrégé) correspondent à des montages juridico-financiers caractérisées par un effet de levier au triple plan juridique financier et fiscal.

Ce type d’opération permet  de procéder au rachat d’une entreprise (ou en tout cas à sa prise de contrôle)  via la constitution d’une société holding qui rembourse le prêt souscrit pour l’achat de la société cible via la remontée des dividendes. En France, deux régimes fiscaux permettent aux holdings de reprise d’optimiser l’imposition des dividendes perçus de la cible: ces régimes sont celui des « sociétés- mères et filles » (exonération d’imposition des dividendes sauf quote part de frais et charges) et de « l’intégration fiscale » (imposition d’un résultat d’ensemble formé par le groupe fiscal et répartition libre de la charge de l’impôt).

Face aux abus consistant pour des sociétés à dégager des liquidités en se vendant à elles-mêmes leur filiale via la création d’une holding de reprise endettée pour l’occasion et dont les charges financières étaient consolidées au niveau fiscal avec les résultats de ses filiales, le législateur a très rapidement introduit un septième alinéa à l’article 223 B du Code général des Impôts plus connu des spécialistes sous le nom d’ « Amendement Charasse » qui limite les possibilités de générer de l’endettement dans un groupe fiscalement intégré.

L’Amendement Charasse

Il résulte de l’article 223 B 7ème alinéa et de la doctrine administrative 4 H 6623-90 que ce dispositif anti abus s’applique lorsqu’une société mère ou une filiale d’un groupe intégré achète des titres :

–          soit auprès des associés ou actionnaires qui contrôlent, directement ou indirectement (à plus de 40 % s’agissant du contrôle de fait), la société cessionnaire

–          soit auprès des sociétés qui sont contrôlées, directement ou indirectement, par les associés ou actionnaires mentionnés ci-avant.

En résumé, ce dispositif anti abus a pour but de supprimer l’avantage procuré par le régime de l’intégration fiscale lorsque le schéma de LBO proposé n’entraîne pas un réel changement de contrôle de la société cible et est donc motivé uniquement par un but d’optimisation fiscale. Dans ce cas, l’amendement Charasse interdit la déduction des charges financières (intérêts d’emprunt) permettant l’acquisition de la société cible par la holding. En conséquence de quoi, lesdites charges financières sont réintégrées dans le résultat d’ensemble pendant une période de 9 ans.

Seulement, de réelles transmissions d’entreprises non abusives opérées par voie de LBO tombaient sous le coup de l’amendement Charasse compte tenu de la manière dont l’administration fiscale apprécie la notion de contrôle.

A cet égard, l’arrêt rendu le 13 juillet par le Conseil d’Etat apporte donc des clarifications bienvenues concernant la notion de contrôle et la date d’appréciation du contrôle. Le Conseil d’Etat considère en effet que, dans le cadre de l’amendement Charasse, la notion de contrôle doit s’apprécier au jour de la cession des titres et non antérieurement.

Les faits de l’arrêt du CE du 13/07/2011

En l’espèce le capital d’une société en commandite par actions était détenu à hauteur de 30 % par des personnes physiques, frères associés commandités, exerçant collégialement la gérance, et à hauteur de 70 % par leurs neuf enfants associés commanditaires. En décembre 1989, la participation de 30% a été transférée par donation aux neuf enfants, les commandités continuant exercer collégialement la gérance.

En mai 1990, la société en commandite par actions a acheté 95 % des parts d’une  autre société détenue par les commandités qui a ensuite été intégrée fiscalement.

Lors d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale a rejeté au niveau du groupe fiscal la déductibilité des charges financières correspondant à cette acquisition en se fondant sur l’amendement Charasse.

La cour administrative d’appel de Douai (CAA Douai 13 novembre 2007, n°06-538) avait validé la position de l’administration fiscale et avait considéré que le dispositif de l’amendement Charasse était applicable compte tenu de l’existence d’un contrôle de fait de la société cessionnaire exercé par ses associés commandités gérants à la date de cession des titres.

Le Conseil d’état annule la décision de la Cour d’Appel.

 Précisions intéressantes concernant la notion de contrôle.

Le Conseil d’Etat juge que la notion de contrôle direct ou indirect de la société cessionnaire ou de la société cédante doit être appréciée au regard de la loi sur les sociétés commerciales (article L233-3 du Code de Commerce), y compris pour la période antérieure à 2006.

C’est d’ailleurs là un intérêt majeur de l’arrêt quant aux contentieux en cours sur cette question. En effet, aucun texte fiscal ne définissait la notion de contrôle pour les exercices clos avant le 1er janvier 2006. L’Administration fiscale, en application de sa doctrine (4 H 6623-92 à 94) considérait donc que les situations de contrôle pouvaient résulter soit d’un d’un contrôle direct ou indirect, via une participation majoritaire des droits de vote soit d’un contrôle de fait par la détention de droits de vote supérieure à une minorité de blocage ou de circonstances de fait, telles que l’exercice d’une influence dominante sur une société.

Le Conseil d’Etat remet en cause cette analyse en jugeant que la notion de contrôle s’entend « de l’exercice, direct ou indirect, individuel ou de concert, en application des dispositions légales et conventionnelles, des droits de vote en assemblée des actionnaires, soit majoritaire, soit permettant de déterminer les décisions ».

Les Juges suprêmes soulignent qu’en l’espèce que les gérants d’une société en commandite par actions ont certes légalement des pouvoirs de gestion, mais que ceux-ci sont sans effet sur le contrôle susceptible d’être exercé par la détention de droits de vote en assemblée générale et qu’il convient de procéder, pour apprécier l’exercice éventuel d’un contrôle sur la désignation des dirigeants, à l’examen de ces pouvoirs au regard des statuts.

La date d’appréciation du contrôle est fixée au jour de la cession des titres

Par ailleurs, le Conseil d’Etat juge que pour l’application de l’amendement Charasse, la notion de contrôle doit s’apprécier à la date de l’opération d’acquisition sans que l’administration fiscale puisse valablement se référer à la période antérieure à celle-ci.

Au cas d’espèce, les associés commandités n’étant plus actionnaires de la société en commandite par actions à la date de l’opération d’acquisition des titres de sorte que le Conseil d’Etat écarte la réintégration des charges financières.

La solution adoptée par le Conseil d’État contredit donc la doctrine administrative qui prévoit qu’en cas de modification réelle dans la répartition du contrôle de la société cessionnaire ou de la société cédante dans les 12 mois précédant l’acquisition des titres, il y a lieu de retenir le pourcentage de contrôle le plus élevé détenu à un moment quelconque de cette période par la personne qui cède les titres ou qui contrôle la société cédante (doc. adm. 4 H 6623-96).

L’arrêt du Conseil d’Etat (CE 13 juillet 2011, n°312285) simplifie donc le dispositif de l’amendement Charasse particulièrement complexe et opaque. A ce titre il s’agit donc d’une décision favorable au contribuable qui devrait permettre de solutionner un certain nombre de contentieux fiscaux en cours concernant des montages LBO.

 Cet article est une reprise de notre article paru dans le Journal du Palais du 7 novembre 2011

©Béatrice LERAT

Avocat

LERAT AVOCAT – Partenaire en Droit des Affaires et Fiscalité

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