« Apport-cession » et abus de droit dans le cadre d’une transmission d’entreprise
Le Conseil d’Etat (CE 8 octobre 2010 n°313139 et CE 8 octobre 2010 n°301934) s’est enfin prononcé sur l’apport cession de titres, une opération d’optimisation fiscale très à la mode…et pour cause !
Dans le cadre de cette opération d’optimisation fiscale, le détenteur d’une participation dans une société A, appelons le Monsieur X, apporte à une société holding H soumise à l’impôt sur les sociétés, pour une valeur de 100, des titres A précédemment acquis 10. La plus-value de 90 bénéficie aujourd’hui d’un sursis d’imposition (article 150-0 B du CGI) après avoir fait l’objet d’un report jusqu’en 1999 (article 92 B II) : elle ne sera imposable que si Monsieur X vend les titres de la holding H.
Puis la société H cède les titres A pour 100 et ne réalise aucune plus-value comptable ni fiscale. La société H consacre alors le produit de la vente des titres A à des investissements dont elle est pleinement propriétaire, qui lui procurent gains et revenus. Le cas échéant, il lui est ensuite possible de distribuer des dividendes à son associé Monsieur X, conformément à la vocation naturelle d’une société.
Ainsi au lieu de régler les 30.1 % d’imposition sur la plus-value dégagée lors de la vente de ses titres A, Monsieur X dans le cadre d’une opération d’apport cession va alléger sa charge fiscale : Monsieur A reporte en effet le paiement de l’impôt sur la plus value au moment de la cession de ses titres dans la holding H, transmission qui n‘intervient généralement que très longtemps après… voire jamais…
L’opération présente donc un intérêt économique indéniable. En effet, aucun impôt sur la plus value n’est acquitté lors de l’opération et la société holding H dispose donc pour ses réinvestissements futurs de la totalité du prix de vente des actions cédées.
Bien évidemment, ce type d’opération n’est pas très bien vu par l’Administration fiscale qui l’attaque régulièrement depuis la fin des années 1990 sur le fondement de l’abus de droit (Article L64 du Livre des Procédures Fiscales) au motif que ces opérations et leurs modalités ont pour but exclusif d’éluder l’impôt. L’administration tend en effet à considérer que la holding n’est créée qu’en vue de la cession et que les liquidités dégagées par la cession des titres A l’ont été par le cédant Monsieur X. Aussi, l’opération a-t-elle selon l’administration fiscale les mêmes effets qu’une cession directe des titres A détenus par le cédant, Monsieur X…l’impôt en moins !
Dans le cadre de ces arrêts du 8 octobre 2010, le Conseil d’Etat règle deux questions :
- Celle de l’applicabilité de l’abus de droit à une opération d’apport cession ;
- Celle de savoir à quelles conditions l’apport-cession peut être considéré comme répréhensible sur le fondement de l’abus de droit ?
Sur la première question, les décisions du Conseil d’Etat semblent à première vue favorables pour les contribuables puisqu’elles annulent les redressements fiscaux… mais… ce faisant le Conseil d’Etat précise qu’une « telle opération , dont l’intérêt fiscal est de différer l’imposition, entre dans le champ d’application de l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales, dès lors qu’elle a nécessairement pour effet de minorer l’assiette de l’année au titre de laquelle l’impôt est normalement dû à raison de la situation et des activités réelles du contribuable ».
Il s’agit d’une analyse extensive et sévère de l’article L64 du Livre des Procédures Fiscales. En effet, le Conseil d’Etat se limite ici à analyser les conséquences de l’opération sur l’année de l’apport plutôt que sur la durée du montage.
Sur la deuxième question, les décisions du Conseil d’Etat sont importantes pour les praticiens de l’optimisation fiscale en ce que qu’elles permettent de préciser les conditions auxquelles les opérations d’apport-cession sont fiscalement « acceptables ».
Ainsi le Conseil d’Etat juge que l’abus de droit doit être écarté s’il ressort de l’ensemble de l’opération que la société bénéficiaire de l’apport « a, conformément à son objet, effectivement réinvesti [le produit de la cession] dans une activité économique ».
Ce critère de non appréhension du prix de cession par le contribuable va de soit. En effet, si la société holding H, bénéficiaire de l’apport, redistribuait le prix de cession à son actionnaire, Monsieur X, sous quelque forme que ce soit (dividende, réduction du capital) l’intérêt fiscal du montage serait annulé puisque le prix de cession deviendrait alors imposable entre les mains du contribuable.
En revanche, la nécessité du réinvestissement dans une activité économique pose plus de questions. Que doit-on réellement englober sous cette notion d’activité économique ? A priori le remploi des liquidités en valeurs mobilières de placement ou autres actifs patrimoniaux ne semble pas exclu et l’immobilier semble donc logiquement inclus dans les possibilités offertes à la holding mais il serait souhaitable que la jurisprudence précise rapidement ce critère d’activité économique en vue de la sécurisation des montages d’apport-cession.
Enfin, sur la question du délai de réinvestissement, le Conseil d’Etat adopte une approche pragmatique plutôt souple puisque dans les deux affaires qui lui étaient soumises le réinvestissement n’a eu lieu que trois ans après l’apport-cession.
Ceci étant en l’espèce, (dans le cadre du premier arrêt notamment), ce délai est apparu nécessaire compte tenu de la réorientation totale d’activité du cédant qui avait au cours du délai de trois ans tenté de reprendre plusieurs fonds – étant précisé par ailleurs que l’opération de réinvestissement excédait très largement le montant perçu par la holding bénéficiaire de l’apport cession qui avait dû souscrire un emprunt garanti sur le patrimoine du contribuable.
En conclusion, les opérations d’apports-cessions, courantes dans la vie des affaires, ne sont pas répréhensibles fiscalement si le produit de cession des titres est réinvesti dans une activité économique autrement dit si ces opérations répondent à des motivations économiques substantielles…voila la clef de la sécurisation des opérations de restructuration et d’optimisation fiscale !
cet article est rédigé à partir de notre article presse paru dans le Journal du Palais du 13 décembre 2010.
©Béatrice LERAT
Avocat à la Cour
LERAT AVOCAT – Partenaire en Droit des Affaires et Fiscalité
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